dimanche 6 octobre 2013

9. L'été en pente douce

Fort Bluff
La route n'en finit pas de décliner en pente douce vers Bluff. Selon la carte nous sommes presque arrivés et pourtant le panorama reste vierge de la moindre humanité. Hormis le noir ruban de bitume, nous ne voyons jusqu'à l'horizon qu'un immense paysage pierreux inondé de soleil. La voiture se dirige vers un de ces massifs rocheux comme nous en avons vus tant ; mais cette fois-ci, la highway s'abîme entre deux falaises abruptes. A la sortie du défilé, dans ce recoin insoupçonnable, se tapit Bluff

Un village, si l'on veut, à condition de se défaire de nos repères européens. Ici, nulle place centrale avec ses petits commerces et son église. De larges rues découpent un damier de bâtiments plats flanqués du sempiternel drapeau national. Les passants sont rares. La petite ville où rien ne se passe exhale un vague sentiment de torpeur.

Nous trouvons notre hôtel, le Recapture Lodge, à la sortie de Bluff. "Lodge" peut se traduire par "pavillon". Mais ce long bâtiment de bois tient davantage de la résidence, avec sa galerie en plein air qui court le long des chambres. Là, on abandonne ses pensées au doux va-et-vient d'un rocking-chair. L'endroit est parfait pour goûter à la quiétude un peu surannée de cet Ouest sans touristes.

Galerie du Recapture Lodge

Après le mercantilisme un peu trop insistant de Moab, nous savourons cette étape de charme. Mais nous constaterons bien vite que l'endroit n'a pas grand chose à offrir aux voyageurs. Les attractions du coin sont trois restaurants, le fort et une promenade en voiture dans ce qui est appelé avec pompe Valley of the Gods.

Belle américaine au Recapture Lodge


Le Twin Rocks Cafe, restaurant navajo surplombé par deux jumeaux de roche, fut notre plus pénible aventure culinaire du voyage. L'on vous sert avec la grimace une pitance sans âme. L'addition est corsée et l'on vous refuse d'un geste sec l'American Express en vous mettant sous le nez un écriteau "Cash or Visa only". Adieu, chers miles Flying Blue... La boutique de souvenirs propose les mêmes coûteuses babioles navajos Made in China que partout ailleurs. Nous n'avons pas pu tester les deux autres restaurants du village, simplement fermés.

Séance ciné chez les mormons

La visite du Fort nous réconcilie avec l'art du voyage. L'endroit est tenu par des mormons. L'on vous y invite avec une touchante bienveillance à regarder un documentaire sur l'épopée héroïque des fondateurs de Bluff. Nos craintes d'être embobinés dans je ne sais quelle propagande se révèlent infondées. Nous assistons, seuls dans une petite salle de ciné, à une projection - en langue française - retraçant le très long voyage d'une caravane de pionniers, partis depuis Salt Lake City tracer une route dans l'ouest sauvage. Cette expression usée jusqu'à l'os prend ici un relief inattendu. L'histoire de ces quelques familles engagées dans l'inconnu suscite une sincère admiration. Le point culminant d'une épopée de six mois reste le passage du Colorado, à l'endroit où deux canyons de part et d'autre du fleuve se font face. Ce point aujourd'hui connu comme the Hole in the rock fut rendu praticable à coup de dynamite avant que les chariots puissent s'y engager, maintenus à la force des bras par des cordages. Le plus étonnant pour moi est que cette aventure extraordinaire est relativement récente : en 1879, la civilisation règne sans partage sur toute l'Europe et Outre-mer ; mais la conquête de l'Ouest américain n'est pas achevée.

Pionniers


Dans le fort proprement dit, tout de planche et de poussière, l'on vous propose de vous habiller comme les vaillants pionniers. L'exercice est dénué de toute toute dimension vénale ou religieuse. Aucune photographe officiel ne surgit pour vous proposer ses services. En gilet rouge et muni d'une carabine de bois, je me plie de bonne grâce à un exercice somme toute émouvant que des montagnes d'or n'auraient pu me convaincre de pratiquer dans notre bonne France.

Autoportrait sans les mains

Au propre comme au figuré, Valley of the Gods est le Monument Valley du pauvre. L'entrée est gratuite, le paysage jamais extraordinaire. Ne soyons pas injuste : il serait fabuleux dans n'importe quel autre pays. Mais là, à quelques kilomètres de Monument Valley, la comparaison parle d'elle-même. La longue piste louvoie et ondule au fil de buttes et mesas de taille moyenne. L'on sort avec une pointe de soulagement de ce circuit agréable mais sans grande surprise, à ne surtout pas emprunter quand le temps est humide. Ce souci ne nous effleure pas, la température au sol touchant au seuil fatidique de 100 degrés Fahrenheit, comme nous l'indique le tableau de bord de l'Infinity.


Valley of the Gods

Valley of the Gods





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